Avec : Karima Delli, eurodéputée EELV
Jean Lafont, conseiller régional Ile-de-France
Moamed Mechmache, Ac Le Feu
Michel Bourgain, maire EELV de l’Ile-Saint-Denis
Salih Amara, associative et fondatrice de la troupe de théâtre la Kahina
Karima Berriche, de l’association marseillaise, Quartier Nord, quartier fort
Animée par Djamila Sonzogni et Erwan Ruty, co-animateurs de la commission Quartiers Populaires
Forum « 30 ans de la politique de la ville, a-t-on tout essayé ? » du 23 août matin
Un forum « 30 ans de la politique de la ville, a-t-on tout essayé ? »
Egalité des territoires ou égalité entre les gens ?
Le thème du forum organisé par la commission Quartiers Populaires et Karima Delli députée européenne.
Quel diagnostic pouvons-nous dresser 30 ans après la marche de l’Egalite sur la politique de la ville ?
Qu’est ce que le secrétaire d’Etat à la politique de la ville met en place ?
Quelles sont les bonnes pratiques ?
Journées d’été des écologistes 2013 – Marseille
Forum « 30 ans de la politique de la ville, a-t-on tout essayé ? » du 23 août matin
Forum « 30 ans de la politique de la ville, a-t-on tout essayé ? »
Introduction | Djamila Sonzogni :
Au nom de la commission nationale « quartiers populaires », je suis heureuse de vous accueillir à ce forum « 30 ans de la politique de la ville, a-t-on tout essayé ? Egalité des territoires ou égalité entre les gens ? »
La situation des quartiers, cités, banlieues empire avec toutes les conséquences que nous connaissons.
Aucune force politique, Europe Ecologie / Les Verts y compris n’arrive à s’implanter dans les quartiers où l’abstention est la règle et où le politique n’inspire que méfiance et hostilité.
Aucun programme politique pertinent concernant cette question transversale à l’emploi, le logement, la culture, le sport, l’éducation, la tranquillité publique, la démocratie sans oublier l’aménagement du territoire et la question des discriminations n’existe.
Pourtant de nombreuses initiatives sont prises, des expériences positives existent venant d’élus, d’habitants, d’associations mais elles restent cloisonnées, confidentielles. Ces expériences mériteraient d’être connues, valorisées, mutualisées.
C’est à partir de ce constat et pour contribuer à ce que cette question soit considérée comme prioritaire, pour qu’elle soit inscrite au cœur des politiques publiques et au cœur des prochaines échéances électorales que nous avons créé cette commission.
Alors que c’est le 30e anniversaire de la « marche de l’égalité » dite « marche des Beurs », à l’heure des 30 ans de la politique de la ville, alors que se dessine une nouvelle politique de la ville par un nouveau un gouvernement – de gauche auquel participent les écologistes -, il nous a semblé important de rassembler à travers ce forum différents acteurs et différents regards autour d’une même table.
Pour aborder le sujet, il est nécessaire de partir d’un diagnostic clair de la situation aujourd’hui en 2013. Une fois le diagnostic posé, quelles sont les perspectives actuelles, que propose le Ministre en charge de la politique de la ville ? Jean Lafont, conseiller régional IDF, président de la commission Politique de la Ville répondra à cette question. Qu’en pensent les associations, M. Mechmache de Ac Le Feu, auteur d’un rapport prometteur nous parlera des propositions concrètes qui sont sorties de cette concertation.
Notre commission a pour ambition de valoriser, mutualiser les expériences positives déjà mises en œuvre ou en construction. Il y en a un certain nombre mais elles restent confidentielles… Michel Bourgain maire Europe Ecologie / Les Verts de l’Ile-Saint-Denis, Mme Salhie Amara associative, fondatrice de la troupe de théâtre La Kahina, Malika Berriche, membre de l’association marseillaise, « quartiers nord, quartiers forts » témoigneront de leur expérience.
Erwan Ruty, co animateur de la commission nous fera une synthèse de ce qui a été dit.
Pour introduire notre forum, la parole est à Karima Delli, eurodéputée Europe Ecologie / Les Verts.
Djamila Sonzogni
Journées d’été des écologistes 2013 – Marseille
Intervention | Jean Lafont, conseiller régional Ile-de-France :
I. La réforme LAMY : dans quel contexte ?
10 ans de politique de la droite dans les quartiers : un bilan désastreux
Son cadre est défini par la loi Borloo du 1er août 2003, qui fixe à cette politique un double objectif : réduire les inégalités sociales; réduire les écarts de développement entre les territoires.
Priorité est donnée à la rénovation urbaine, via l’ANRU, avec l’objectif d’introduire de la mixité sociale (« exogène ») dans les quartiers: un programme de 45 milliards € (2004-2013) est lancé, déconnecté d’un volet social de plus en plus réduit (500 millions € en 2012).
L’Agence pour la cohésion sociale et l’égalité (ACSE) n’a été créée qu’en 2007, suite aux révoltes de novembre 2005.
Ces années sont marquées par une baisse des crédits aux associations.
Au plan social, la politique suivie dans les quartiers vise à promouvoir une élite, tout en tenant un discours négatif sur les habitantEs (des « assistés »), culpabilisant les parents (« démissionnaires ») et stigmatisant la grande masse de la jeunesse (notamment celle d’origine étrangère) rendue responsable de l’insécurité.
La discrimination ethnique devient une méthode de gouvernement, avec une frénésie de lois sécuritaires, la loi sur le voile, le débat sur l’ « identité nationale », le discours de Grenoble, etc..
Résultat : les écarts, loin de se réduire, se creusent entre les quartiers et le reste de l’agglomération (données de l’Observatoire national des zones urbaines sensibles – ONZUS), le chômage atteint des niveaux dramatiques, surtout chez les jeunes; les relations sociales se tendent, notamment les rapports entre la police et la population, le discours raciste du Front National, repris par une partie de la droite, progresse dans la société…
Depuis quelques années, nombreuses prises de position : Conseil National des Villes, Inter-Réseau des professionnels du Développement Social Urbain, collectif Pouvoir d’Agir… appelant une réforme profonde de la politique de la ville.
C’est dans ce contexte qu’avec l’arrivée de la gauche au pouvoir en 2012, François LAMY annonce une « refondation » de la politique de la ville, et lance une large concertation qui va durer 6 mois et aboutir à une série d’annonces et de décisions au Conseil Interministériel des Villes (CIV) du 19 février 2013.
II. Le contenu de la réforme
D’emblée, un discours nouveau qui tranche heureusement avec celui de la droite : les habitants sont désormais considérés comme une richesse et comme des partenaires essentiels de la politique de la ville.
Le contenu de la réforme apparaît dans les décisions du CIV et le projet de loi « relatif à la ville et à la cohésion urbaine » présenté au conseil des ministres du 2 août 2013.
La participation des habitants a fait l’objet d’un rapport commandé à Marie-Hélène Bacqué et Mohamed Mechmache dont les propositions sont encore à l’étude au sein du gouvernement.
Ses principaux axes :
une géographie prioritaire unique (avec suppression des anciens zonages, ZUS, ZFU, etc.) et réduite (le nombre de quartiers prioritaires devrait passer de 2500 à 1200), définie à partir du critère unique du revenu par habitantE (par rapport aux références nationales et celles de l’agglomération),
un contrat global de 6 ans, articulant l’urbain et le social, à l’échelle intercommunale, associant l’État et les collectivités territoriales, communes, département, région – ce contrat-cadre, qui s’appuie sur un projet de territoire, se décline en contrats particuliers selon les thématiques et entrera en vigueur à compter du 1er janvier 2015,
le contrat repose sur l’engagement prioritaire des crédits de droit commun (pour cela, signature de conventions avec les ministères). D’ores et déjà, plusieurs décisions sont annoncées au CIV : 30% des emplois d’avenir, 25% des services civiques iront aux futurs quartiers prioritaires, chaque Zone de Sécurité Prioritaire (ZSP) aura un commissariat de police, la Banque Publique d’Investissement interviendra pour la création et le développement d’entreprises dans les quartiers). Les quartiers prioritaires bénéficieront en outre de crédits spécifiques politique de la ville,
chaque établissement public de coopération intercommunale signataire d’un contrat de ville aura obligation d’instituer une dotation de solidarité communautaire. Une dotation spécifique « politique de la ville » sera créée et répartie entre les EPCI signataires des contrats de ville,
la durée du programme national de rénovation urbaine (PNRU1) sera prolongée de 2 ans jusqu’à fin 2015. Dès 2014, un nouveau PNRU doté de 5 milliards € (soit environ 20 milliards € de travaux) pour la période 2014-2020 sera créé. Il sera également mis en oeuvre par l’ANRU, qui établira une charte nationale d’insertion pour les habitantEs des quartiers ainsi qu’une charte de la concertation),
le projet de loi dans son article 1er pose le principe de participation des habitantEs (« la politique de la ville s’appuie sur les initiatives des habitants et favorise leur association des habitantEs à la définition et à la mise en œuvre des actions conduites dans les quartiers défavorisés »). Le CIV pour sa part parle de « co-construction des contrats de ville ».
III. Des interrogations (cf. la fiche de bilan établie par la commission quartiers populaires)
Si le discours général tranche avec la période Sarkozy et apporte « un souffle d’air », l’idée de contrat global, de mobilisation prioritaire du droit commun, de participation des habitantEs, n’est pas nouvelle dans l’histoire de la politique de la ville : qu’est ce qui permettra de faire mieux cette fois-ci? Cette interrogation générale peut se décliner :
quelle ingénierie sera mobilisée pour l’élaboration des projets de territoire et des contrats ? Cela vise l’ingénierie technique – souvent insuffisante, et qui a largement fondu du côté de l’État local – mais aussi la mobilisation des acteurs locaux et notamment des habitantEs, essentielle pour que les projets répondent aux besoins des populations. A défaut, c’est une démarche descendante qui l’emportera, avec pour conséquence des contrats « catalogues » d’actions non coordonnées,
est-ce que les conventions avec les ministères et le poids local des préfets suffiront à mieux mobiliser le droit commun (à cet égard, le bilan des 30 Contrats Urbains de Cohésion Sociale – CUCS – expérimentaux, lancés par l’ancienne majorité, est très inquiétant; il révèle les dégâts produits par la RGPP, mais aussi les blocages de certains ministères comme l’Education nationale) ?
Quelle sera la volonté des départements et des régions de s’impliquer, à travers leurs propres politiques de droit commun ?
mobiliser le droit commun, c’est aussi changer le mode d’action des institutions et services publics dans les quartiers populaires pour répondre aux besoins des habitantEs : quelle capacité, quelle volonté de faire à moyens souvent décroissants, alors que cela suppose des efforts importants de la part des agents et dans le mode de management de l’institution ? Cela se pose en particulier pour la police nationale, dont le mode d’intervention actuel dans les quartiers est plus le problème que la solution !
quels moyens financiers seront mobilisés en faveur de la solidarité territoriale, à travers la future dotation « politique de la ville » ? Et quels moyens pour les associations ? Ce dernier point renvoie aux suites qui seront données au rapport Bacqué-Mechmache,
le mode d’intervention de l’ANRU suscite de nombreuses critiques, à commencer par l’objectif de mixité sociale – souvent compris comme mixité ethnique – mais aussi son caractère technocratique, ses injonctions à la démolition, des consultations d’habitantEs qui sont souvent des simulacres, la coupure avec le volet social, etc. Au-delà des bonnes intentions affichées, la politique de rénovation urbaine sera-t-elle réellement revue en profondeur ?
enfin, le processus des contrats est lent, alors que les problèmes à traiter sont urgents, car beaucoup de quartiers connaissent des situations dramatiques, aggravées par les politiques d’austérité, et voient se multiplier les actes racistes : comment apporter du changement dès maintenant ? Puisque nous sommes à Marseille, je parlerai de l’initiative du « collectif marseillais du 1er juin » qui interpelle aujourd’hui fortement les pouvoirs publics, Etat et collectivités territoriales confondus, à travers ses 23 propositions. Ces demandes seront-elles entendues ? A défaut, je crains que ce soit, au final, les réponses sécuritaires qui l’emportent.
Jean Lafont
Journées d’été des écologistes 2013 – Marseille